Marie-Laure Morbieu nous invite à lire
"Des femmes et des dieux" [1] (
Éditions des Arènes)
Les Arènes Voici un livre rare : la prise de parole de trois femmes de religions différentes, qui ont pris le temps de se retrouver, l’espace d’une semaine, pour échanger, partager, s’écouter sur leur vie, leur foi, leurs traditions respectives. C’est un dialogue en vérité dans lequel elles se sont écoutées avec attention, respect, complicité et estime mutuelle.
Briser les barrières : trois femmes engagées dans des rôles traditionnellement masculins
Toutes les trois sont en responsabilité dans leurs communautés :
Kahina Bahloul est imame et islamologue,
Floriane Chinsky est rabbin et docteur en droit, et
Emmanuelle Seyboldt est pasteure et présidente de conseil national de l’Église protestante de France.
Elles s’expriment avec lucidité et franchise, même sur des questions qui peuvent déranger :
le patriarcat et la question féministe ou encore
la place du corps dans les religions. Avec un climat d’écoute et de confiance qui est palpable tout au long de cet ouvrage, elles nous font découvrir leurs traditions respectives et leur histoire personnelle. On appréciera la clarté et l’intelligence des
éclairages théologiques.
Les histoires personnelles qui ont façonné leur engagement
Elles reviennent sur le
ur parcours, leurs motivations et les obstacles ou appuis qu’elles ont rencontrés. Kahina B. rappelle l’amitié profonde qui unissait ses quatre grands-parents musulmans, chrétien et juif. Floriane C. parle de sa conviction du respect de la liberté de l’autre et du refus de toute forme de contrainte sur lui, conviction qui a guidé toute sa vie. Emmanuelle S. voit dans sa sensibilité à la souffrance autour d’elle l’ancrage de sa vocation. Leur présentation des piliers de chaque religion est très intéressante, leur vision est libérale et humaniste.
Corps, sexualité et respect : Perspectives contemporaines sur la place des femmes dans les religions
Les questions autour du patriarcat, du féminisme et de la place du corps sont abordées avec beaucoup de lucidité. Les discussions sur le contrôle du corps de la femme, la fidélité et le désir sont évoquées. Leurs visions peuvent différer, mais elles s’accordent à relever
l’importance de la lecture historico-critique des textes, et le fait que les hommes se sont approprié le discours religieux et l’interprétation des textes. Kahina B. partage sa souffrance sur la grande hypocrisie en islam autour de la question de la sexualité. Pour elles trois, le respect de son corps de celui de l’autre est central. Elles nous montrent comment une
lecture contemporaine et éclairée des textes apporte un
éclairage renouvelé et salutaire sur la place des femmes dans les religions.
Vers une lecture progressive des textes
Les échanges sont particulièrement intéressants sur l’approche historico-critique des textes. Nous retiendrons ces quelques mots de Kahina Bahloul : « Il faut arrêter avec cette sacralisation des lectures passées qui nous empêche d’avancer […] Le problème, c’est que l’approche historico-critique demande un certain engagement […] C’est beaucoup plus simple de boire les paroles d’un penseur autoproclamé ».
Des conceptions divergentes de la sacralité
Qu’est-ce qui est sacré pour vous ? À cette dernière question, les réponses sont variées, puisque le mot sacré, pour Emmanuelle S.,
« ne fait pas sens ». Pour Floriane C.
« c’est ce qui advient quand nous sommes ensemble, le sentiment de nous surpasser et de participer à une aventure qui nous transcende ». Kahina B. y voit une injonction au respect absolu :
« il y a quelque chose au-dessus de toi, tout ne t’appartient pas ».
Ce livre plein d’espérance nous montre la fécondité d’un dialogue interreligieux dans la confiance. La joie des échanges est palpable. L’une des participantes parle d’une impression d’avoir vécu
« les prémices du Royaume ».
[1] Floriane CHINSKY, Kahine BAHLOUL et Emmanuelle SEYBOLT,
Des femmes et des dieux, Paris, Éditions des Arènes, 2021, 250 p.