Se poser en Église les questions essentielles du sens de la mission dans la réalité du monde
Marie-Laure Morbieu a lu le livre du cardinal Jean-Marc Aveline, Dieu a tant aimé le monde. Petite théologie de la mission, publié en septembre 2023 (Le Cerf) et nous invite, par ces quelques lignes, à le lire.
Monseigneur Jean-Marc Aveline est archevêque de Marseille ; il est l'artisan de la venue du pape François à Marseille en septembre 2023.
Il fut séminariste au séminaire universitaire des Carmes (Institut Catholique de Paris) et a suivi ses études de théologie au Theologicum.
Il nous livre dans son ouvrage
Dieu a tant aimé le monde. Petite théologie de la mission quelques-unes de
ses convictions sur la mission de l’Église,
« mission qui est avant tout d’être au service de l’amour dont Dieu aime son peuple ». Il a approfondi cette vision de la mission en accompagnant l’Église dans le domaine des
relations interreligieuses.
Soixante ans après le Concile Vatican II, alors que l’Église est aux prises avec les bouleversements du monde, elle-même plongée dans de multiples crises, tout en ayant une conscience des germes d’espérances présents dans le monde, elle doit effectuer un travail de conversion en approfondissant la compréhension de sa mission.
Or, Jean-Marc Aveline en a la conviction,
la pratique du dialogue interreligieux peut renouveler la théologie de la mission.
Un parcours et une pensée enracinés dans la réalité de la vie
La pensée de Jean-Marc Aveline est ancrée dans son expérience de vie qui l’a amené avec sa famille de l’Algérie en France. Il a connu le déracinement et sait « combien on ne peut jamais arracher du cœur d’un homme l’amour de sa terre natale ». Il a expérimenté aussi qu’une fraternité est possible entre juifs, chrétiens et musulmans.
Ce parcours l’a conduit à la création d’un ISTR à Marseille, 25 ans après celui de Paris. Ceci a constitué un tournant décisif dans l’histoire de sa vocation, nous dit-il ; il a compris plus tard qu’ « il avait été préparé à ce nouvel appel dans chacun des domaines de son chemin de vie : existentiel et intellectuel, théologique et pastoral ». Le travail sur l’enquête théologique sur les moines de Tibhirine va le marquer profondément, théologiquement et spirituellement.
Vivre la mission dans l’attitude spirituelle du dialogue.
Pour les moines à Tibhrine, la mission consistait à créer et développer des relations de voisinage faites de proximité attentive, « cette proximité évangélique devrait être la première signature des chrétiens ». Paul VI parlait de la Révélation, comme le dialogue de Salut, la conversation du Christ avec les hommes. C’est parce que Dieu a choisi ce mode dialogal pour se faire connaître que la mission de l’Église doit, elle aussi, revêtir un mode dialogal. Cette proposition de dialogue est déjà une annonce implicite de la Bonne Nouvelle, d’un Dieu qui se révèle avec une proximité respectueuse (« Voici que je me tiens à la porte et je frappe » Ap 3, 20).
La mission de l’Église est coopération à celle de l’Esprit, et
« cet Esprit, qui souffle où il veut, n’est en aucune façon assigné à résidence dans le cadre étroit de l’institution ecclésiale ».
« Confier l’Évangile, seulement si, au préalable, nous avons cherché, avec constance et discrétion les traces de l’Esprit dans l’humaine destinée des autres … ».
Jean-Marc Aveline cite des initiatives de présence de
jeunes chrétiens dans les quartiers nord de Marseille :
« Ils découvrent que c’est dans cette attitude spirituelle de dialogue, sans volonté de puissance ni de menace ni mépris, que l’Église invite tous les peuples à se joindre à son pèlerinage vers le Royaume ».
Un dialogue sur l’horizon de la promesse
Cette expérience de dialogue se joue tout particulièrement avec les juifs d’aujourd’hui, héritiers de la même promesse biblique faite par Dieu à Abraham.
« Ce qui nous unit, juifs et chrétiens, ce que nous vivons dans le secret de nos cœurs ou dans la clameur de nos liturgies, est absolument plus important que ce qui nous sépare. »
Le dialogue, vécu comme l’attitude spirituelle de la mission de l’Église, consiste à
se placer avec humilité au service de la Promesse. Et il nous faut aller plus loin, affirme Jean-Marc Aveline, et nous poser avec Christian de Chergé la question du sens divin de ce qui humainement nous sépare.
Une Église sacrement universel du salut.
La catholicité de l’Église ne se mesure pas à l’importance du nombre, mais à la saveur du sel à la fécondité du levain.
« Pour l’Église, accomplir sa vocation de catholicité, c’est rejoindre l’Esprit du Christ présent et agissant dans tous les combats que mènent aujourd’hui les hommes et les femmes de bonne volonté », c’est travailler à l’unité à l’intérieur de l’Église et tisser la fraternité dans toute l’humanité.
En conclusion, Jean-Marc Aveline nous rappelle que Jésus ne nous a pas envoyés dans le monde pour que nous devenions les plus nombreux, mais comme une petite quantité de levain. Et quand l’Église, fidèle à la mission reçue du Seigneur,
« entre en conversation avec le mode et se fait conversation » (
Ecclesiam Suam, 67), elle participe à l’avènement de la fraternité qui a sa source profonde, non pas en nous, mais dans la Paternité de Dieu.
Dans ce
petit livre lumineux et stimulant, Jean-Marc Aveline parle en théologien, mais aussi depuis son expérience de vie et cela donne à ses propos tout leur poids.
À partir des trois convictions qu’il développe, il nous invite à
nous reposer la question du rôle l’Église, de chacun de nous. Il
bouscule nos certitudes et affirme que c’est aujourd’hui le temps où nous devons
revenir aux sources et nous poser en Église les questions essentielles du sens de la mission dans la réalité du monde.
Les enjeux de ce questionnement sont, me semble-t-il, majeurs pour l’avenir, et cet ouvrage peut constituer une feuille de route.
Marie-Laure Morbieu