Être attentif
Le père Gilles Drouin, directeur de l'Institut Supérieur de Liturgie, éclaire de son point de vue, des débats actuels, notamment sur la messe.
"Le débat sur la question liturgique a resurgi récemment dans l'Église de manière inattendue.
Des manifestants se sont rassemblés devant une église lors d'un événement liturgique important pour demander la "liberté de la messe" aux évêques et aux représentants du Dicastère pour le culte Divin. Les défenseurs de la "messe de toujours", c'est-à-dire la messe de 1962, ont souligné bruyamment le succès du pèlerinage à Chartres à la Pentecôte, affirmant être l'avenir de l'Église.
Profitant de la période de fragilité de l'Église de France, engagée dans un processus difficile de purification suite à la publication du rapport Sauvé et à ses répercussions douloureuses, les héritiers de l'intransigeantisme catholique se font entendre. La liturgie devient l'étendard de revendications et de nostalgies qui ne relèvent pas uniquement de l'ordre liturgique.
Ces catholiques intransigeants sont connus depuis la Révolution française, et bien qu'ils aient écrits quelques-unes des plus belles pages de la mission catholique et de l'engagement social de l'Église de France, ils se sont souvent égarés lorsqu'ils ont abordé des questions politiques (Affaire Dreyfus, Action Française) ou esthétiques (Querelle de l'Art sacré) liées à l'engagement chrétien. Après s’être faits discrets depuis la Seconde Guerre mondiale et la période de l'Algérie française, ils réapparaissent maintenant en mettant leur zèle et leurs moyens considérables au service d'une prétendue "messe de toujours", rebaptisée récemment "messe traditionnelle". Pourtant, la messe traditionnelle est précisément celle promulguée solennellement par un acte de la tradition authentique et vivante de l'Église, c'est-à-dire le concile œcuménique et l'autorité de quatre papes.
Cette croisade surprend beaucoup d'observateurs étrangers en Europe et ailleurs, qui regardent avec étonnement voire inquiétude ce qui se passe dans ces pays étranges que sont la France et, d'une certaine manière, les États-Unis, où la liturgie semble prise en otage par les fractures qui divisent des sociétés politiquement polarisées.
Alors, que devons-nous faire en tant qu'héritiers lointains mais reconnaissants de l'immense effort théologique et pastoral du Mouvement Liturgique des XIX
e et XX
e siècles, représenté par des figures telles que Dom Guéranger, Joseph Ratzinger, Romano Guardini et d'autres ? Le pape François nous donne une feuille de route simple mais exigeante dans sa lettre
Desiderio desideravi.
Pour les théologiens et les pasteurs que nous sommes, il nous faut former, former et encore former. Former à la liturgie et se laisser former par elle, avec la conviction, éprouvée, que, comme le disait Benoit XVI aux Bernardins l’alliance, qui a fait la force de notre culture occidentale, entre la raison théologique et la profondeur spirituelle constitue un antidote puissant à toutes les idéologies, qu’elles soient nostalgiques ou utopiques.
Il nous faut également travailler et veiller à l’art de célébrer, afin de tordre le cou à une idée, qui n’est en fait qu’une opinion, selon laquelle il y aurait une messe empreinte de sacré, de mystère et une autre, certes sympathique mais horizontale, une sorte de messe à deux vitesses comme on avait autrefois des enterrements de différentes classes.
Qui a participé à une messe célébrée par le Cardinal Lustiger, un authentique héritier, via le père Bouyer du Mouvement Liturgique, ou encore à un baptême célébré par Louis Marie Chauvet, un Maitre de la sacramentaire conciliaire, sait que, pour peu qu’on donne toute leur chance aux rites, la liturgie de Vatican II peut être puissante, belle, et par là même missionnaire. Par la grâce de la noble simplicité mise au service d’une véritable participation du saint peuple de Dieu.
Gilles Drouin
Directeur de l'Institut Supérieur de Liturgie, Conseiller de l'archevêque de Paris pour l'aménagement liturgique de Notre-Dame
Photo d'illustration : Lennon Caranzo