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Salaire équitable : quelle mise en oeuvre réalisable ?

Retour sur le colloque international organisé par l'ICP sur le salaire équitable. L'objectif de cet événement était de croiser les regards et concilier les approches théorique et empirique afin d'éclairer le débat sur ce thème d'actualité. Echanges avec les co-organisateurs Michel-Pierre Chelini et Pierre-Hernan Rojas.

Réfléchir aux questions de juste rémunération et d’écarts salariaux, dans une approche pluridisciplinaire novatrice, en convoquant différents champs académiques comme l’économie, la philosophie ou encore l’histoire, tels étaient les objectifs du colloque international organisé à l'ICP en mai dernier.

Deux étudiants de la Licence Sciences sociales, Eléonore et Eugène, ont participé à l'organisation de ce colloque ainsi qu'aux échanges entre les différents intervenants. Ils ont interrogé les organisateurs sur les enjeux de cette rencontre scientifique, et sur les suites de leurs travaux :


Pourquoi avoir organisé ce colloque sur le salaire équitable à l’ICP ?

Michel-Pierre Chelini : C’est un sujet quantitatif difficile, qui me tient à cœur. Je co-anime un réseau de recherche international sur ce sujet depuis une dizaine d’années, au sein duquel nous menons - entre autres - des analyses géographiques et chronologiques sur le sujet. J’ai choisi de l’organiser à l’Institut Catholique de Paris pour la perspective éthique que cette institution offre, en plus du cadre théorique économique.

Pierre-Hernan Rojas : En tant que directeur du département d’Économie et de Gestion, j’ai voulu associer la Faculté de Sciences Sociales, d’Économie et de Droit à ce colloque car il est au cœur de son projet pluridisciplinaire, voire, même transdisciplinaire. Par ailleurs, la « juste rémunération » est une question ayant trait à la Doctrine sociale de l’Église, qui a émergé fin XIXe siècle, à une période où l’industrialisation à marche forcée des économies européennes a généré une paupérisation d’une partie de la classe ouvrière.
 

"Les intellectuels catholiques ont mobilisé à cette occasion les sciences sociales pour réfléchir à ces nouveaux enjeux et formuler de nouvelles questions : qu’est-ce qu’une rémunération équitable dans un système capitaliste et inégalitaire ? Quels moyens peut-on mettre en œuvre pour pallier ces inégalités ? Cette reflexion fonde la doctrine sociale de l’Église. La FASSED est l’héritière de cette démarche." 

Pourquoi la question du salaire équitable nécessite-t-elle une approche pluridisciplinaire ?

Michel-Pierre Chelini : La question des salaires est complexe et assez peu traitée. Traditionnellement, cet objet est étudié par les économistes et les spécialistes du droit social, en raison de sa complexité et de sa technicité. Mais le sujet des salaires active d’autres champs de la société, notamment politiques et sociologiques, avec la question du système des retraites ou la présence d’acteurs comme les syndicats ou le patronat par exemple. En outre, on se rend rapidement compte que les rapports de force entre les différents acteurs et les débats évoluent et sont sensiblement différents selon les périodes et les espaces.

Finalement, on peut dire que l’approche pluridisciplinaire de cette thématique est essentielle car c’est un sujet très humain qui nécessite plusieurs points de vue ! Pourtant, elle est peu existante sur ce sujet. La pluridisciplinarité propre à la FASSED et à l’ICP a permis de créer un espace de dialogue entre différentes disciplines à partir d’une armature économique. J’ai été saisi qu’il y ait des philosophes lors de ce colloque, mais à l’ICP c’est possible grâce à son côté familial ; les chercheurs de différentes disciplines dialoguent facilement entre Facultés. 

Pierre-Hernan Rojas : On ne voulait pas étudier la question du salaire uniquement sous l’angle des marchés économiques. En effet, dans le débat public, la question des salaires est souvent réduite à l’analyse du marché, de la productivité du travail, de la concurrence avec les autres pays européens, etc. Or, le salaire est un arrangement institutionnel qui suppose de savoir quelle valeur on souhaite attribuer au temps de travail dépensé par le salarié. Cette question appelle une approche pluridisciplinaire avec un recul historique, des conceptions philosophiques, des analyses géographiques mais aussi une étude des relations sociales entre les différents acteurs.
 

Comment définir un salaire équitable ? Est-ce qu’il s’oppose au salaire égalitaire, au salaire décent… ?

Michel-Pierre Chelini : Le salaire égalitaire, pour simplifier, signifie : « à poste égal et qualifications égales, salaire égal ».

Le salaire équitable quant à lui prend en compte les qualifications, le prix du marché, la valeur ajoutée, les usages, les habitudes, les grilles salariales en plus des autres dimensions du salaire notamment en le considérant comme un revenu. 


En d’autres termes, ne pas considérer le salaire uniquement comme un coût pour l’Etat et les employeurs privés mais également comme un revenu pour le ménage, avec ce qu’on appelle aujourd’hui le package salarial (épargne salariale, redistribution des dividendes, formation) mis en place pour fidéliser le salarié. C’est un terme à la définition ouverte et aux contours poreux car le marché du travail est divisé en strates de qualifications, en secteurs, avec des écarts de salaires selon la catégorie d’employés… Le salaire décent correspond au niveau général des prix mais aussi des conditions de travail.

Pierre-Hernan Rojas : La théorie du salaire équitable considère qu’on ne peut pas prendre en compte uniquement la variable du travail dépensé pour une mission au sein d’une structure mais qu’il faut aussi considérer plusieurs variables pour rémunérer les individus (salaire, avantages sociaux, épargne salariale) pour qu’ils puissent atteindre un niveau de vie décent. Par exemple, pour certaines personnes en bas de l’échelle de rémunération, le salaire ne permet pas d’avoir un niveau de vie décent. Évidemment, ce constat dépend aussi des aires géographiques étudiées.

La notion du salaire équitable exclut les écarts de salaires ?

Michel-Pierre Chelini : Certains écarts sont légitimes, comme les responsabilités, les qualifications, le coût de la vie selon les zones géographiques, l’expérience, les avantages en nature proposés par l’entreprise… D’autres non, comme le genre par exemple.

Pierre-Hernan Rojas : Penser le salaire juste ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir des écarts de rémunération. On peut justifier les écarts mais il faut alors s’interroger sur le point suivant : quels écarts sont acceptables ?
 

Quel est le rôle de l’Etat dans la régulation de ces écarts ?

Michel-Pierre Chelini : Cela dépend des pays mais les Etats légifèrent (droit du travail, salaire minimum, lois sociales,…) et interviennent souvent comme arbitres entre les salariés, les syndicats et le patronat.

Une publication des actes du colloque est prévue. Pourquoi publier ce travail collectif ? A qui cette publication s’adresse ?

Pierre-Hernan Rojas : L’objectif de cet ouvrage est de présenter la réflexion collective et pluridisciplinaire menée autour de cette thématique à la fois dans le temps et dans l’espace. C’est un travail académique qui croise les approches théorique et empirique pour éclairer le débat public, que ce soit pour les salariés, les DRH, la sphère politique…

C’est aussi l’objet des sciences sociales tel que nous l’enseignons au sein de notre Licence Sciences sociales : comprendre un monde complexe grâce à la mobilisation de plusieurs disciplines ! 

Michel-Pierre Chelini : L’idée est de faire une présentation scientifique accessible au plus grand nombre ainsi qu’aux cercles responsables : dirigeants, syndicalistes, patrons pour les inclure dans cette réflexion sur les salaires.

Eleonore et Eugène, étudiants en Licence Sciences sociales, avec les organisateurs et les intervenants du colloque dans le Jardin des Carmes sur le campus de Paris.

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Publié le 9 juillet 2024 Mis à jour le 23 juillet 2024

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