Lorsque l’on évoque la question de l’évaluation des élèves, l’école semble ne pas pouvoir répondre à la mission de bienveillance posée par les textes institutionnels. De L’Élève humilié, de Pierre Merle jusqu’à On achève bien les écoliers, de Peter Gumbel, elle est souvent décrite comme une institution injuste et comme un lieu de souffrance.
En posant la question d’une « France qui décourage ses enfants au nom de ce qu’ils ne sont pas, au lieu de les encourager en vertu de ce qu’ils sont », le journaliste Peter Gumbel décrit ainsi un système qui « non seulement ne correspond pas à son image idéale, mais n’atteint pas non plus le même niveau de résultats que dans une grande partie de l’Europe et du monde développé ».
Le rapport à l’erreur semble si solidement lié à l’échec et la pression des notes est telle que l’évaluation reste pour beaucoup synonyme de peur voire d’angoisse, au risque d’entraîner les élèves dans un engrenage pervers de phobie scolaire, comme le souligne Hadji dans Faut-il avoir peur de l’évaluation ?.
Cette évaluation synonyme d’échec serait induite par « la constante macabre », décrite par André Antibi dans ses travaux. Le chercheur propose l’analyse critique d’un système, et non une critique des enseignants qui, sous la pression de la société, se sentent obligés de mettre un certain pourcentage de mauvaises notes pour que leur évaluation soit crédible : un enseignant excellent, avec des élèves excellents ayant des notes excellentes, serait à coup sûr montré du doigt et considéré comme laxiste. Inconsciemment, les enseignants se sentiraient obligés de mettre un pourcentage de mauvaises notes pour être crédibles, ce pourcentage correspondant à ce qu’il nomme « la constante macabre ».
Ce phénomène inconscient serait ainsi à l’origine de l’échec artificiel de nombreux élèves « s’ils ont la malchance de faire partie du “mauvais” tiers de la classe ». Les conséquences sont multiples : détérioration du climat de confiance entre l’enseignant et les élèves, perte de confiance en soi des élèves et mauvaise estime de soi, mal-être à l’école, stress dans le milieu familial, orientation des élèves, etc.
L’erreur, indispensable aux apprentissages
Si l’erreur, montrée du doigt et sanctionnée, induit ce qui pourrait être considéré comme une évaluation maltraitante, elle reste indispensable lorsqu’il s’agit d’apprendre. C’est ce que s’accordent à dire les pédagogues qui, de Rousseau à Bachelard, considèrent l’erreur comme une étape inhérente à la compréhension et à la formation de l’esprit.
De nombreux travaux en psychologie des apprentissages en témoignent, depuis ceux engagés par les pédagogues de l’éducation nouvelle en leur temps qui, dès le début du XXe siècle, prônaient le droit à l’erreur lorsqu’ils proposaient une école qui s’adapterait aux besoins de l’enfant, en s’appuyant notamment sur les avancées de la psychologie du développement. Le tâtonnement expérimental est au cœur de l’activité de l’enfant et constitue le point de départ de la pédagogie à mettre en place par tout éducateur.
Avec le constructivisme, issu des travaux du psychologue Jean Piaget, l’erreur est perçue positivement car elle indique les progrès restant à faire pour acquérir les apprentissages. Selon le professeur en sciences de l’éducation Jean-Pierre Astolfi, il s’agit pour l’enseignant d’un véritable levier qui lui permet de décortiquer « la logique de l’erreur » afin d’en tirer parti. On retrouve ce même intérêt pour l’erreur comme révélateur dans les travaux de Lev Vygotsky sur la zone proximale de développement, qui s’appuient sur l’idée d’ajuster les exigences d’apprentissage en favorisant les expériences de réussite des élèves sans les mettre en situation d’échec, ce qui permet de les accompagner progressivement dans leur autonomie.
De son côté, le philosophe Edgar Morin envisage l’erreur comme une des questions incontournables à prendre en compte pour l’éducation du futur, de façon à lutter contre ce qu’il nomme, dans Les Sept Savoirs nécessaires à l’éducation du futur, les cécités de la connaissance :
« Il est remarquable que l’éducation qui vise à communiquer les connaissances soit aveugle sur ce qu’est la connaissance humaine, ses dispositifs, ses infirmités, ses difficultés, ses propensions à l’erreur comme à l’illusion, et ne se préoccupe nullement de faire connaître ce qu’est connaître. »
Alors que l’erreur est reconnue comme étant indispensable pour progresser dans les apprentissages, comment l’école peut-elle s’en saisir dans ses procédés d’évaluation pour entrer dans une dynamique de bien-être plutôt que de mal-être scolaire ?
Vers le bien-être scolaire
Revenons aux analyses d’André Antibi, qui nous offrent une première piste concrète pour lutter contre la constante macabre en proposant une évaluation par contrat. L’enseignant se doit d’être clair avec les élèves quant à l’évaluation mise en place lors des contrôles, il passe un contrat de confiance avec eux en respectant ces trois étapes essentielles : annoncer le programme du contrôle, organiser un pré-contrôle suivi d’une séance de questions-réponses, faire un retour sur le contenu et donner les corrections du sujet. Tout en précisant dès le début de l’année les exigences dans la rédaction. La notion de faute, d’erreur ne s’accompagne ici d’aucune notion de culpabilité.
Cette pédagogie de la confiance, utilisée par de nombreux enseignants, permet d’inverser le processus et d’entrer dans une évaluation positive, et favorise un climat scolaire apaisé.
Une autre dynamique est possible engageant une évaluation formative plutôt qu’uniquement une évaluation sommative. Alors que l’évaluation sommative rend compte d’un instant dans le processus d’apprentissage d’un enfant en donnant une note qui vient sanctionner et faire un constat sans appel, l’évaluation formative participe au processus d’apprentissage et rend compte d’une évolution qui s’inscrit dans la durée.
En utilisant des outils ludiques, par exemple des quiz, des sondages, l’enseignant peut plus aisément suivre l’évolution de ses élèves et adapter son enseignement au niveau de chacun. Les échanges par groupes et les débats sont un autre exemple d’une évaluation formative, indispensable à l’heure où l’intelligence artificielle vient perturber l’évaluation lorsqu’elle consiste uniquement à mesurer les connaissances acquises. L’évaluation peut ainsi être envisagée comme un outil favorisant la participation de l’élève et la formation de son esprit critique, dans une dimension d’éducation inclusive et de développement intégral de la personne.
Ainsi, en renversant le rapport à l’erreur, l’évaluation qui prend en compte l’activité de l’élève et intègre la notion de tâtonnement expérimental devient non seulement un indicateur pertinent pour les enseignants, les élèves, et les parents, mais également un des facteurs clés du bien-être scolaire.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.