Depuis 30 ans dans le domaine de la restauration et du facility management, Eric Labrune a un
parcours professionnel et académique qui résonne fortement avec les
compétences et postures attendues d’un dirigeant dans un monde complexe et incertain.
Tout en occupant de multiples postes à responsabilité dans des groupes comme Casino, Compass, Groupe Flo, SSP ou Aéroports de Paris, Eric a eu à cœur de remettre en question ses croyances et son expérience à la lumière des sciences humaines en enrichissant son parcours de nouvelles compétences académiques, le menant d'études initiales en droit à une certification de coach professionnel en passant par un master en management stratégique et marketing. Il occupe depuis 7 ans le poste de directeur général et depuis 4 ans à la tête de la société Extime F&B Paris, filiale du Groupe ADP qui emploie 1 350 collaborateurs et exploite 80 points de vente à Roissy-CDG et Paris-Orly.
En 2021, il rejoint le
parcours “Diriger et Faire Face à la complexité et à l’incertitude” de l’
Institut Vaugirard Humanités et Management (IVHM) qui propose une approche singulière, celle de l’
association entre la philosophie et le rôle de dirigeant.
Son engagement associatif, notamment au sein du CRPA (Cercle de Réflexion et de Proposition d'Actions sur la psychiatrie), lui a permis d'aborder l'autre dans toute sa diversité et a développé chez lui le goût de l'altérité. Cette dernière lui amène tout à la fois le différent et le semblable, soit l'humanité tout entière. En entreprise, l'enjeu est de percevoir le différent chez son collègue ou son collaborateur, de le laisser s'exprimer pour en tirer une richesse ; cette altérité est un gisement sans fin pour les organisations qui savent la cultiver.
Éric ne sépare pas les différentes sphères de sa vie (personnelle, professionnelle, associative, etc.) ; les frontières s'effacent et émergent alors un
continuum, un alignement et une cohérence dans la réflexion, comme dans l'action quel que soit le milieu dans lequel il évolue.
Vous avez co-créé en 2023, aux côtés de sept autres dirigeants, le Cercle Dirigeants Esprit Critique de l’Institut Vaugirard : quel est son objectif et qu’y avez-vous cherché de singulier ?
Comme dirigeant, je suis souvent sollicité pour intégrer des clubs ou autres réseaux essentiellement orientés business et échanges de cartes de visite. Le CDEC m'a permis tout le contraire ;
il ne s'agit plus de discuter affaires, mais de partager nos pratiques, questionnements de dirigeants confrontés à un environnement de plus en plus complexe.
Pour se faire, il ne s'agit plus simplement d'aller fouiller dans les outils proposés par les écoles de commerce ou autres cabinets de conseil, mais d'emprunter aux sciences humaines quelques concepts rarement utilisés en entreprise, pour aller questionner, "fissurer" dirait François Jullien, nos certitudes. Chaque dirigeant du Cercle partage ses expériences, et s'élabore ainsi un dialogue critique et riche qui permet à chacun de retourner dans son entreprise avec un regard nouveau sur ses pratiques.
Pouvez-vous donner un exemple concret où l'esprit critique a joué un rôle clé dans votre prise de décision stratégique ?
Plus que de prise de décision, je parlerai de posture. Je pense au dernier livre d'Anne Dufourmantelle,
Eloge du Risque. A trop gouverner par les certitudes, on rigidifie l'organisation et on se prive de nouvelles opportunités.
En tant que dirigeant, j’ai la responsabilité de prendre des décisions qui alimentent positivement notre performance sociale, économique et environnementale. J’ai l’ambition de faire de mon entreprise une société à mission et l’un des enjeux majeurs de cet engagement était d'intégrer des personnes “déficientes intellectuelles” en milieu ordinaire. Faire changer les regards sur le handicap, et convaincre les plus réticents sur notre capacité collective à travailler avec ces nouveaux talents a été une expérience et une décision positives. Le bénéfice aujourd'hui est immense, nous sommes tous convaincus qu'il faut déployer cette initiative dans l'intérêt des personnes concernées et de l'entreprise elle-même.
Le parcours Dirigeants puis, de façon régulière, les rencontres du CDEC, alimentent ma réflexion et me procurent tout un corpus qui me permettent d'être plus crédible dans mon discours et d'emporter la conviction de mes interlocuteurs en interne, comme en externe.
Quels types d’activités avez-vous au sein du CDEC et comment pensez-vous partager les résultats de vos échanges ?
La confrontation bienveillante de nos pratiques, questionnées par les sciences humaines, amenées par le philosophe
Marc Grassin et nos propres lectures, nous permet de tracer un dialogue vivant et dynamique. Nos échanges retranscrits par écrit, sont une source permanente à laquelle on peut se référer dans les moments de doute. Car dans son organisation, même si le dirigeant est entouré, il reste parfois seul pour décider ; et le retour sur le dialogue lui permet le recul et lui offre l'inspiration.
Avec les membres du CDEC, nous prévoyons de publier prochainement nos réflexions sous forme de conversations.
Vous avez suivi le parcours Dirigeants en 2021, en quoi fait-il la différence ?
Alors que les écoles de commerce ou autres cursus offrent aux dirigeants des grilles d'analyse, des solutions dites "éprouvées", des théories en tout genre estampillées par de grands gourous de l'économie… ce programme nous tend un miroir critique porté par des intervenants issus des sciences humaines et des pairs confrontés aux mêmes enjeux. Il s'agit d'accepter le doute et le questionnement, comme une formidable occasion de comprendre notre organisation et son environnement.
L'échappée vers les sciences humaines permet de dé-construire des certitudes, d'aller voir ce qui se passe dans les fissures et reconstruire différemment.